Mali : Quand le déni de réalité devient doctrine d’État
Bamako, 14 juin 2025 – Le théâtre malien continue de saigner, lentement mais sûrement, au rythme d’attaques terroristes insidieuses, de dérives autoritaires croissantes et d’un discours officiel qui confine à la fiction. Alors que les autorités de transition s’échinent à convaincre l’opinion, nationale comme internationale, d’un prétendu retour à la normalité, le terrain, lui, parle un langage autrement plus implacable : celui des morts, des mines artisanales et des routes piégées.
FAMA
Une double attaque symbolique et meurtrière
Les 13 et 14 juin 2025, entre Anéfis et Aguelhoc, dans cette vaste étendue aride du nord malien que même les cartes hésitent à nommer avec précision, un convoi logistique des Forces armées maliennes (FAMa), escorté par des éléments d’Africa Corps – supplétifs russes du régime – a été pris pour cible par des engins explosifs improvisés (EEI). Plusieurs véhicules ont été soufflés. Les pertes, selon des sources sécuritaires locales, sont « lourdes, sensibles, et de nature à fragiliser le moral des troupes ».
Un haut gradé joint par nos soins, sous le sceau de l’anonymat, confie dans un souffle : « On nous parle de reconquête, de sécurisation du territoire. Mais sur le terrain, nous enterrons nos hommes sans pouvoir riposter. L'ennemi frappe puis se volatilise dans le désert. »
Le mythe de la souveraineté retrouvée
Depuis le retrait progressif des forces françaises de l’opération Barkhane et la fin de la mission de la MINUSMA, les autorités maliennes ont multiplié les déclarations martiales, annonçant avoir "repris le contrôle" du territoire national. La rhétorique de souveraineté, sans doute nécessaire à la consolidation d’un pouvoir en quête de légitimité, s’est transformée en mantra politique. Mais à quel prix ?
La réalité factuelle est pourtant crue : plus de 60 % du territoire reste dans une zone grise, hors du contrôle effectif de l’État. Des pans entiers du nord et du centre du Mali sont devenus des sanctuaires pour les groupes jihadistes du JNIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans) ou de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Des convois logistiques ne peuvent plus circuler sans risquer la désintégration. Les écoles restent fermées dans des centaines de localités. Le commerce interrégional est asphyxié. Le simple droit de vivre devient un luxe.
Une transition sans cap, prolongée sans peuple
Le 31 mars dernier, dans un silence qui en disait long sur l’état de délabrement démocratique, le gouvernement de transition a annoncé la prorogation de son mandat de cinq années supplémentaires, « renouvelables en cas de nécessité stratégique ». Aucun référendum, aucun scrutin, aucune consultation populaire n’a eu lieu. Le décret fut signé, point.
Et voilà un pays, jadis laboratoire de la démocratie ouest-africaine, qui s’enfonce dans la brume d’un autoritarisme à peine voilé, porté par le sceau d’une junte militaire promue en élite dirigeante.
Ce que certains appellent cyniquement une « stabilisation institutionnelle » relève en vérité d’un verrouillage progressif du pouvoir. Les partis politiques sont bâillonnés, la société civile sous surveillance, les journalistes critiques muselés, parfois emprisonnés. À la moindre voix discordante, la réponse est souvent judiciaire, voire militaire.
Africa Corps
Une propagande qui ignore les morts
Pendant ce temps, les canaux de communication du régime s’évertuent à diffuser images de défilés militaires, cérémonies d’allégeance, et discours triomphalistes vantant les mérites d’une « souveraineté retrouvée ». Les pertes sur le terrain ? Elles sont tues, minimisées ou habillées d’un manteau d’héroïsme nationaliste. Le narratif officiel se veut rassurant : le Mali se porte mieux, le pays se redresse, la sécurité revient.
Mais derrière ces slogans, ce sont des familles qui pleurent chaque semaine un fils, un mari, un frère tombé sur une piste ensablée, sous un soleil de plomb, tué par une guerre que nul ne semble vraiment pouvoir nommer. Ce sont des villages entiers qui fuient vers le sud, désabusés, livrés à eux-mêmes.
La lassitude du peuple et le risque de rupture
Au marché de Sévaré, au carrefour stratégique du centre malien, les conversations sont devenues prudentes. Mais derrière les visages impassibles se lit une fatigue morale. La peur a changé de forme : elle n’est plus seulement le fait des terroristes, mais aussi de ceux censés protéger.
« On ne sait plus qui croire », glisse un commerçant. « Avant, on avait au moins le droit de parler. Aujourd’hui, même ça, on nous le retire. » À Mopti, à Gao, à Tombouctou, des voix s’élèvent, discrètes encore, mais déterminées à refuser le silence officiel.
Et si l’État refuse d’écouter, ce n’est pas l’opposition traditionnelle – décimée ou compromise – qui pourra porter cette colère. Ce sont de nouveaux visages, jeunes, diasporiques, issus des rangs de la société civile, des collectifs de femmes, des blogueurs, des activistes numériques, qui commencent à structurer une contestation plus transversale, enracinée dans l’aspiration populaire au retour d’un État juste, légitime, protecteur.
Conclusion : gouverner, ce n’est pas (se) mentir
Le Mali ne peut pas se permettre de vivre dans le déni. Le temps des illusions est révolu. Gouverner, ce n’est pas (se) mentir, ni maquiller la vérité pour masquer l’ampleur des failles. Gouverner, c’est affronter le réel, aussi douloureux soit-il. C’est appeler les choses par leur nom. C’est accepter que la guerre n’est pas finie. Que les morts ne sont pas fictifs. Que les promesses de paix n’ont de sens que si elles s’appuient sur des faits, et non sur des fictions.
Ceux qui refusent de voir les braises sous les cendres prennent le risque de réveiller l’incendie. Car l’histoire du Mali nous l’a déjà montré : les peuples finissent toujours par se lever lorsque le mensonge devient la seule vérité autorisée.
Le Paysan de Zoula
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