Une vieille dame expulsée de son domicile familial : entre répression politique et crise humanitaire

Ce dimanche 11 mai 2025, aux alentours de 17 heures, une scène glaçante s’est déroulée dans un quartier de Ouagadougou, loin des fronts où l’ennemi désigne d’habitude les groupes armés non-étatiques. Une vieille dame de 85 ans, souffrant d’hypertension et de diabète, a été brutalement expulsée de son domicile familial par ce que plusieurs témoins décrivent comme un "escadron de la mort", un groupe d’hommes armés affiliés au régime militaire burkinabè, exécutant des ordres dans l’ombre de l’autoritarisme ambiant.

Dessin du Dr. Li Wenliang — © DR

Sans préavis officiel, sans convocation judiciaire, sans forme de procès ni audience contradictoire, la vieille dame a été sommée de vider les lieux dans un délai de cinq minutes. Le motif ? Elle serait la mère d’un citoyen trop critique envers le pouvoir en place.

Un cas emblématique d’acharnement politique

Les faits remontent à plusieurs mois d’intimidations rampantes. Déjà, il y a près d’un an, Ibrahim Maïga, présenté comme proche du pouvoir, aurait fait jeter un papillon dans la cour du domicile familial avec des menaces à peine voilées : il reviendrait "s’occuper" de la mère du citoyen réfractaire. La vieille dame, que ses proches ont plusieurs fois incitée à quitter le pays pour se mettre à l’abri, a toujours refusé. « À 85 ans, je ne me vois pas mourir loin de mon pays », disait-elle encore récemment.

Ce dimanche, les avertissements latents ont laissé place à la brutalité nue. Des hommes en treillis, cagoulés pour certains, débarquent, encerclent la maison, coupent les lignes d’alimentation électrique – qui étaient déjà suspendues depuis plus de 72 heures – et forcent la vieille dame à sortir de sa maison. Les voisins, apeurés, n’osent intervenir.

Privée de soins, de téléphone, de dignité

Ce qui donne à cette affaire un caractère d’urgence humanitaire, c’est l’état de santé de la victime. Hypertendue, diabétique, sous surveillance médicale constante, elle n’avait déjà plus accès à son médecin traitant depuis plusieurs jours. Ce dernier, appelé au chevet de la patiente, aurait reçu des menaces formelles et l’interdiction de la soigner ou de communiquer avec elle. Son seul moyen de contact, un téléphone GSM, lui a été retiré.

Ce soir, elle dort dehors, sans accès à un lit, un traitement, ni même une protection contre les éléments naturels. Une déréliction que rien ne justifie.

Un régime qui frappe les faibles au lieu de combattre les ennemis

Dans un contexte national où les attaques terroristes endeuillent régulièrement l’armée et la population, l’énergie mise à persécuter une femme de 85 ans paraît dérisoire et grotesque. Mais elle traduit aussi une méthodologie redoutable : celle d’un pouvoir obsédé par le contrôle, la répression, la punition collective. En droit burkinabè, comme dans toute démocratie même vacillante, la faute est individuelle. L’idée que les proches d’un opposant ou d’un journaliste deviennent des cibles par procuration est une aberration juridique, morale, civilisationnelle.

Le fils de la victime, quant à lui, affirme n’avoir jamais appelé à la violence, ni pris les armes, mais simplement exercé son droit constitutionnel à la parole. « Que mes écrits ne plaisent pas à Ibrahim Traoré, cela ne fait pas de moi un terroriste. Cela ne devrait pas autoriser ce traitement infâme à l’égard d’une pauvre vieille femme sans défense », déclare-t-il.

Un précédent grave

L’affaire, si elle se confirmait dans tous ses détails, marquerait une inflexion dangereuse dans l’exercice du pouvoir au Burkina Faso. Elle transformerait ce qui reste de l’État de droit en une caricature sinistre, où la loi du plus fort supplante la loi tout court.

Les groupes de défense des droits humains, les institutions régionales et internationales, les leaders religieux et traditionnels, les intellectuels burkinabè, ont tous un devoir de vigilance et de parole. L’injustice commise aujourd’hui contre une vieille femme sans voix est une menace pour chaque citoyen silencieux. Demain, ce pourrait être n’importe qui.

Une famille mutilée, un pays interpellé

Le drame ne s’arrête pas à cette expulsion. Selon le témoignage du fils, ses neveux ont également été enlevés et seraient détenus dans un lieu inconnu. Aucun motif judiciaire n’aurait été notifié. Aucun contact n’a été possible.

Ce qui s’apparente de plus en plus à une vendetta politique déguisée en mesure de sécurité soulève une question cruciale : jusqu’où ira le pouvoir dans sa croisade contre les opposants et leurs familles ? Jusqu’à quelle profondeur le tissu de la dignité humaine et de la justice va-t-il être lacéré ?

Une patrie ne se bâtit pas sur les larmes des mères et les silences imposés aux malades. Une gouvernance véritable ne s’exerce pas par la peur mais par la légitimité. Et si demain la vieille dame venait à mourir, la postérité retiendra que ce n’est pas la vieillesse ni la maladie, mais une main politique qui l’aura condamnée.

Face à cela, un seul mot résonne : dignité.

HOROYA. DIMAKOU.

Par le Paysan de Zoula


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