Mali : La transition confisquée – Vers une présidence militaire à durée indéterminée
La promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel n’était donc qu’un leurre. Le 10 juin 2025, dans une atmosphère verrouillée et sans véritable débat public, le Conseil des ministres malien a adopté un projet de loi aussi historique que lourd de conséquences : il accorde au colonel devenu général, Assimi Goïta, un mandat de cinq ans renouvelable, sans passage par les urnes, ni validation populaire. Autrement dit, la transition tant vantée se transforme en présidence militaire sans horizon démocratique. Le Mali s’enfonce ainsi dans une forme raffinée d’autocratie militaire, où le pouvoir se concentre entre les mains d’une élite sécuritaire, sans contre-pouvoir, sans légitimité électorale, sans temporalité définie.
![]() |
Assimi Goïta |
C’est un tournant décisif, brutal, mais prévisible pour de nombreux observateurs. Le rêve de refondation, l’espoir d’un Mali nouveau né de la rupture, s’effrite au profit d’un système de commandement dur, opaque, fondé sur la peur, la répression et la suppression méthodique des libertés politiques.
La fin du calendrier : Mars 2024 est mort
Rappelons que la junte militaire malienne, portée au pouvoir par un double coup d’État en 2020 et 2021, s’était engagée, devant les instances régionales et internationales, à rendre le pouvoir aux civils au plus tard en mars 2024. Cet engagement, déjà mis à mal par des reports successifs, s’est officiellement éteint avec l’adoption du projet de loi conférant au chef de la transition un mandat sans base élective. Le texte, rédigé sans consultation populaire, balaye toute notion d’alternance démocratique et s’installe dans une logique de pouvoir absolu.
« C’est la légalisation d’un coup d’État permanent », s’indigne un constitutionnaliste de Bamako sous couvert d’anonymat. « Ce que l’on appelle transition n’est plus qu’un mot vide de sens. Nous sommes entrés dans une présidence militaire à durée indéterminée, sans garde-fous, sans échéancier ».
Conseil des ministres inféodé, opposition muselée
Le Conseil des ministres, devenu un organe d’enregistrement plus que de délibération, a approuvé à l’unanimité le texte. Aucun débat contradictoire, aucun amendement public, aucune saisine citoyenne n’a été observée. L’opposition, quant à elle, a été méthodiquement écartée. En avril dernier, tous les partis politiques ont été suspendus par un décret militaire, sous prétexte de préservation de la paix sociale. Une décision qui a ouvert la voie à une confiscation complète de l’espace civique.
Les principaux leaders politiques sont soit en exil, soit réduits au silence. Les médias critiques sont menacés, les ONG étroitement surveillées, les mouvements sociaux criminalisés. Dans ce climat de terreur froide, la population malienne vit sous la chape d’un régime qui ne tolère plus ni questionnement, ni contrepoids.
Une transition qui devient un système
La terminologie de « transition » n’a plus lieu d’être. Ce qui devait être une période transitoire, une parenthèse dans l’histoire institutionnelle du Mali, est désormais érigé en système. Le pouvoir militaire a réussi à se doter d’un semblant de légalité, sans jamais passer par le suffrage universel. Il s’arroge un mandat long, renouvelable, sans balises, ni révision constitutionnelle formelle.
Les juristes maliens les plus rigoureux parlent d’une « révolution juridique rampante », où les normes sont détournées pour asseoir un pouvoir personnel. Le Conseil National de Transition, censé jouer le rôle d’Assemblée provisoire, a été marginalisé, réduit à un rôle de chambre d’enregistrement. La Cour constitutionnelle, souvent muette, reste silencieuse. L’État de droit est suspendu dans une sorte de vide normatif entretenu par le pouvoir exécutif.
Le pari de la stabilité militaire, le prix de la démocratie
Les partisans du général-président justifient cette consolidation autoritaire par les défis sécuritaires persistants du pays. Le Mali, en proie à une guerre asymétrique depuis plus d’une décennie, doit, selon eux, « garantir la stabilité avant de songer à la démocratie ». Ce discours, mille fois entendu sur le continent, sert désormais de justification à toutes les dérives : maintien de l’état d’exception, interdiction de rassemblement, instrumentalisation de la souveraineté nationale contre toute critique internationale.
Mais à quel prix ? Le prix d’une société bâillonnée, d’une jeunesse désabusée, d’un avenir confisqué. Le Mali vit un paradoxe terrible : plus les défis sécuritaires s’accroissent, plus le pouvoir s’enferme, et plus les réponses militaires échouent. L’échec de la stratégie sécuritaire russe, incarnée par la présence du groupe Wagner, n’a fait qu’aggraver la crise au centre et au nord du pays. Les violences contre les civils se multiplient, les groupes armés étendent leur influence, les frontières deviennent poreuses. L’armée elle-même, épuisée et fracturée, n’est plus ce socle homogène qu’elle prétend être.
L’isolement diplomatique en toile de fond
Si le pouvoir malien semble triompher sur la scène intérieure, il subit un isolement croissant sur la scène internationale. Les relations avec la CEDEAO sont au point mort. La rupture avec la France et les partenaires occidentaux s’est accompagnée d’un alignement quasi-exclusif sur Moscou, au moment même où la Russie traverse une phase de redéploiement stratégique.
Les promesses de coopération économique avec les BRICS n’ont pas encore porté leurs fruits. Le développement est en berne, l’aide internationale suspendue, les investissements privés en recul. L’économie malienne souffre, l’inflation progresse, les produits de première nécessité deviennent inaccessibles pour une part croissante de la population.
Assimi Goïta
Une société sous tension, une colère qui gronde
Malgré la répression, une sourde colère gronde au sein de la population. Dans les marchés, les écoles, les mosquées, les cafés, la parole se libère peu à peu. Les jeunes s’interrogent : pourquoi tant de sacrifices si la démocratie est reportée aux calendes grecques ? Les familles de militaires tombés au front s’impatientent. Les fonctionnaires s’inquiètent des retards de paiement. Les anciens alliés civils du régime commencent à prendre leurs distances.
Un vent de désillusion souffle sur Bamako. La junte, jadis perçue comme une alternative à la classe politique discréditée, est désormais accusée de reproduire, en pire, les pratiques du passé : clientélisme, opacité, accaparement des richesses publiques.
Et maintenant ?
La situation malienne pose une question fondamentale à l’Afrique de l’Ouest : que faire lorsque les militaires refusent de partir ? Quand la transition devient une prise d’otage politique ? Quand les mécanismes de la démocratie sont suspendus au nom d’un ordre sécuritaire inefficace ?
La réponse ne viendra pas des institutions déjà affaiblies. Elle viendra peut-être de la société civile, si elle parvient à s’organiser. Elle viendra des peuples voisins, dont certains commencent à exprimer une solidarité active. Elle viendra, peut-être, d’un sursaut patriotique, d’un refus collectif de la résignation.
En attendant, le Mali reste prisonnier d’un régime militaire dont les contours se durcissent chaque jour davantage. La transition est morte. Le retour à l’ordre constitutionnel est reporté sine die. Et le peuple malien, une fois de plus, observe impuissant la confiscation de son avenir par une poignée d’hommes en uniforme.
Le Paysan de Zoula
Commentaires
Enregistrer un commentaire