Mali : la promesse brisée du parrain russe

Africa Corps
Quand le chaos succède à la prétendue stabilité

Un parrain venu du froid

Lorsque, en 2021, les premiers convois de la société paramilitaire Wagner foulèrent le sol malien, la junte militaire issue du double coup d’État de 2020 et 2021 exultait. À la défiance vis-à-vis de la communauté internationale, et notamment vis-à-vis de la France et de la MINUSMA, venait s’ajouter un allié de poids : la Russie. Ce partenariat, scellé à l’ombre des chancelleries occidentales, avait pour vocation de restaurer l’autorité de l’État malien, reconquérir les territoires perdus face aux groupes djihadistes et sécessionnistes, et restaurer la fierté d’un peuple meurtri par des années de violence et d’abandon.

Mais à l’épreuve des faits, la réalité s’est révélée autrement plus tragique.

Kidal : une victoire au goût amer

C’est en novembre 2023 que la junte malienne, appuyée par les mercenaires de Wagner, s’empare de la ville stratégique de Kidal, bastion touareg longtemps hors du giron de l’État. Cette reconquête, présentée comme un exploit militaire, fut immédiatement érigée en trophée politique. La télévision nationale multiplie les diffusions de cortèges de soldats, d’étendards brandis dans le vent sahélien, et de discours enflammés glorifiant la « nouvelle souveraineté malienne ».

Mais derrière les caméras, un tout autre visage se dessine.


Pillages, exécutions et désillusions

Car Wagner, fidèle à sa réputation, n’est pas une force de libération. Les témoignages qui filtrent des zones dites « libérées » font état de rafles arbitraires, de tortures, de disparitions forcées et d’exécutions sommaires. Les villages de la région de Kidal, de Tessalit à Aguelhok, deviennent des foyers de terreur. Des sources locales rapportent que des enfants ont été enlevés, que des chefs traditionnels ont été humiliés, parfois tués, et que les femmes sont devenues les premières victimes de cette politique de terreur.

En réalité, les Russes ne sont pas venus seulement pour combattre les djihadistes. Ils sont aussi venus pour piller. L’or du Mali, ses terres rares et ses ressources minières deviennent très vite des cibles pour les intérêts privés liés au Kremlin. À défaut de ramener la paix, Wagner a contribué à fracturer davantage une société déjà en lambeaux.


Tin Zaouatine, Boulkessi : la débâcle

La contre-offensive des groupes armés du Nord ne tarde pas. À Tin Zaouatine, dans le cercle de Tessalit, une embuscade dévastatrice coûte la vie à plusieurs dizaines de soldats maliens et de mercenaires russes. Puis, quelques semaines plus tard, à la frontière burkinabè, la base de Boulkessi est attaquée. Là encore, c’est un carnage. Les assaillants repartent avec armes, munitions, véhicules, et la certitude qu’aucune présence étrangère ne pourra imposer une paix qu’ils ne reconnaissent pas.

Wagner, affaibli, humilié, amorce alors son retrait progressif du Mali. La junte, qui en avait fait un pilier de sa stratégie de reconquête, se retrouve sans bouclier.


L’Africa Corps, une relève incertaine

Mais très vite, un autre acteur émerge. L’Africa Corps, une nouvelle entité paramilitaire russe présentée comme l’héritière officielle de Wagner après la mort mystérieuse d’Evgueni Prigojine, prend la relève. On parle d’effectifs oscillant entre 20 000 et 40 000 hommes, mieux équipés, mieux formés, et censés mieux répondre aux réalités asymétriques du terrain sahélien.

Le vernis ne tient pas longtemps. À peine déployés, les hommes de l’Africa Corps subissent leur baptême du feu à In Tillit, Léré et Ménaka, où les drones suicides du Front de Libération de l’Azawad sèment la mort et la panique. Les colonnes blindées russes, qui se croyaient invincibles, sont clouées au sol. Le Su-24, avion de chasse vedette censé dissuader toute avancée djihadiste, s’écrase mystérieusement près de Gao.

La défaite est non seulement militaire, mais symbolique. L’orgueil de Moscou est piétiné par des combattants sahéliens aguerris, mobiles, enracinés.


Contre-attaque médiatique des Touaregs

À cette humiliation militaire vient s’ajouter une offensive informationnelle d’une efficacité redoutable. Les Touaregs, désormais rompus aux techniques de communication numérique, filment, montent, et diffusent sur les réseaux sociaux les images de leurs victoires, des carcasses de blindés russes fumants, des convois décimés, des drapeaux russes piétinés. C’est une guerre des récits, et dans ce domaine aussi, la Russie marque le pas.

Cette stratégie vise à délégitimer la présence russe aux yeux des populations locales, à éroder la confiance dans le mythe de la puissance étrangère invincible, et à rappeler une vérité : aucun occupant, qu’il soit occidental ou oriental, ne viendra pacifier durablement le Sahel sans la volonté de ses propres peuples.

Une junte aux abois

Pendant ce temps, à Bamako, la junte s’enfonce dans une logique autoritaire. Les partis politiques sont dissous, les voix critiques muselées, les syndicats surveillés, les médias indépendants fermés. La contestation sociale monte. De nombreux soldats, issus de milieux populaires, commencent à exprimer leur malaise face aux accusations d’exactions commises contre leurs propres concitoyens.

Dans les villages, les populations ne voient plus en l’État une protection, mais une menace. Le terrain devient fertile pour les groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou sécessionnistes. La colère devient le carburant d’une guerre sans fin.

Le spectre du chaos régional

Au-delà du Mali, c’est tout le Sahel qui tremble. Le Burkina Faso, le Niger, le Tchad observent avec inquiétude ce partenaire russe qui promet l’ordre et sème le désordre. L’échec de la stratégie malienne menace d’essaimer. Les groupes armés transfrontaliers, eux, ne connaissent ni frontières ni constitutions. Ils s’adaptent, mutent, frappent là où l’on ne les attend pas.

L’Afrique de l’Ouest, déjà secouée par les coups d’État successifs, l’isolement diplomatique et les sanctions économiques, se rapproche dangereusement du précipice. L’alliance militaire des États du Sahel – AES – elle-même vacille, fragilisée par les divisions internes et les rivalités de leadership.


Conclusion : la tragédie d’un peuple

Ce qui devait être un partenariat stratégique s’est transformé en piège sanglant. Le Mali, berceau de civilisations, terre de savants et de résistants, se retrouve aujourd’hui otage d’une géopolitique sans scrupule, où l’homme est un pion et la paix un mirage.

La junte malienne, en croyant acheter sa survie politique à Moscou, a hypothéqué l’avenir de toute une génération. Les mercenaires russes, qu’ils s’appellent Wagner ou Africa Corps, ne sont ni des libérateurs ni des bâtisseurs. Ils ne laissent derrière eux que la cendre, le silence et la peur.

Tant que les voix maliennes authentiques — celles des femmes, des jeunes, des anciens, des soldats intègres et des bâtisseurs de paix — ne seront pas réhabilitées, aucun espoir ne pourra germer. Le Mali n’a pas besoin de parrains armés. Il a besoin d’un pacte national de justice, de mémoire, et de dignité.

Car tant que le cœur du Sahel saigne, c’est toute l’Afrique qui vacille.

Le Paysan de Zoula

© Tous droits réservés – Juin 2025










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