Développement ou domptage ? Le cri d’alarme d’un peuple désillusionné face à la brutalité d’État
Ce n’est pas la première fois, hélas. Et ce ne sera peut-être pas la dernière si les consciences ne se réveillent pas. Depuis plusieurs semaines, le Burkina Faso est secoué, non pas par des soulèvements populaires violents ou des menaces subversives venues d’ennemis extérieurs, mais par une série de répressions administratives menées avec une brutalité qui interroge, indigne et glace.
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Une maison brûlée après le massacre de Yirgou, au Burkina Faso |
Sur les plateaux télévisés, dans les allées feutrées des ministères ou sur les réseaux sociaux institutionnels, on parle de « développement », de « restructuration urbaine », de « reconquête des espaces publics ». Mais sur le terrain, ce langage technique se traduit par des coups de crosse, des maisons rasées, des familles chassées, des communautés entières stigmatisées, souvent en silence. Et parmi ces communautés, une revient sans cesse : la communauté peule.
Quand l’autorité oublie qu’elle est servante du peuple
Un État digne repose sur le consentement de ceux qu’il gouverne. Il agit avec eux, pour eux, et non contre eux. Il éduque, convainc, inspire, persuade, éclaire… mais ne brutalise pas, ne bâillonne pas, ne frappe pas indistinctement. Or, ce que l’on observe ces dernières semaines, dans plusieurs localités du pays, relève davantage de la force aveugle que de l’autorité éclairée.
Des populations entières sont frappées, déplacées, brutalisées, sous prétexte de mesures de sécurité ou de développement. Les sensibilisations, nous dit-on, ont été faites. Peut-être. Mais dans quelles langues ? Avec quels relais communautaires ? Dans quelles temporalités ? Avec quels résultats mesurables ?
La pédagogie du développement ne peut se réduire à une annonce radiophonique, suivie d’un bulldozer. Elle suppose de la patience, de l’écoute, de l’intelligence culturelle, et surtout, du respect de l’humain.
Une violence qui ne dit pas son nom
Le plus préoccupant, c’est la répétition d’un schéma : à chaque fois que des opérations dites de "sécurisation" ou de "reprise foncière" sont engagées, les mêmes victimes apparaissent. Hommes, femmes, enfants peuls. Une communauté historiquement marginalisée, trop souvent assimilée – à tort – à des complicités avec les groupes armés ou à une altérité menaçante.
Cette stigmatisation systémique est une bombe à retardement. On ne développe pas un pays en fracturant son tissu social, en enfonçant davantage ceux qui sont déjà à la marge. Un développement fondé sur l’exclusion, la peur et la force n’est rien d’autre qu’un néocolonialisme intérieur.
L’histoire nous observe
Comment ne pas se rappeler l’épisode du Mont Péko en Côte d’Ivoire ? Lorsque des milliers de Burkinabè furent menacés d’expulsion d’une zone forestière protégée, l’État burkinabè s’était montré digne. Il avait plaidé, intercédé, rappelé les droits humains fondamentaux, et exigé un traitement humain de ses ressortissants.
Pourquoi alors, au nom de quel impératif, une telle fermeté morale devient-elle absente lorsque les victimes sont sur notre propre sol ? Serait-ce que le Burkinabè n’a de valeur que lorsqu’il est à l’étranger ? Serait-ce que la dignité humaine s’arrête aux frontières de l’ethnie ou du pouvoir ?
Nous devons avoir le courage de poser cette question : à qui profite cette brutalité ? Quelle société voulons-nous réellement bâtir ? Et pourquoi nos dirigeants croient-ils qu’il faille imposer le progrès comme une ordonnance médicale sans consentement ?
La vraie nature du développement
Le développement n’est pas une stratégie militaire. Ce n’est pas une opération de maintien de l’ordre. Ce n’est pas une injonction verticale, conçue dans un bureau climatisé et imposée à des populations qui n’en perçoivent ni le sens, ni les bienfaits immédiats. Le vrai développement est un contrat social, fondé sur le dialogue, la compréhension des réalités locales, et surtout, le respect des personnes.
Il est illusoire de vouloir bâtir des routes, des écoles ou des marchés modernes là où l’on a détruit la confiance, brisé des vies, semé la peur. Aucun bâtiment, aucune infrastructure, aussi brillante soit-elle, ne remplacera jamais la paix du cœur, la stabilité des foyers, la fierté d’un citoyen dans son propre pays.
Une bavure nationale
Ce qui s’est passé – et se poursuit encore dans certains territoires – n’est pas une simple erreur administrative. C’est une bavure d’État. Un abus d’autorité. Une entorse grave à l’éthique républicaine. Et il ne faut surtout pas que le silence s’installe autour de cette tragédie.
Il est encore temps de reculer, de réparer, de reconnaître l’erreur. Dire que des sensibilisations ont été faites ne suffit pas. Dire que les opérations étaient prévues non plus. Si cela a échoué, alors c’est à l’autorité de revoir sa méthode, de se remettre en cause. Ce n’est pas à la population d’en payer le prix.
Arrêtez. Ce n’est plus tolérable.
L’indignation grandit. Les douleurs s’accumulent. Et la colère, jusqu’ici contenue, pourrait se transformer en quelque chose d’incontrôlable si rien n’est fait. Dans les rues, sur les réseaux, dans les mosquées, les églises, les concessions, le mot circule : Trop, c’est trop.
Un État qui prétend incarner l’espérance ne peut pas être en même temps le bourreau de son peuple. Une armée ou une police, aussi disciplinée soit-elle, ne peut pas traiter ses concitoyens comme des intrus à chasser.
Il faut arrêter. Maintenant. Et se souvenir d’une vérité simple, peut-être trop oubliée : chaque Burkinabè est un frère, une sœur, un parent, une voix sacrée. Il n’y a pas de développement sans justice, sans inclusion, sans paix sociale.
En guise de rappel…
Il n’est jamais trop tard pour réconcilier la raison d’État avec la raison du cœur. Le Burkina Faso, plus que jamais, a besoin d’un projet de société qui rassemble, et non qui fracture. D’une autorité qui écoute, et non qui brutalise. D’un avenir où l’on n’aura plus jamais à dire : Souviens-toi de cette nuit-là, quand nos propres frères sont venus nous chasser comme des étrangers…
L’Histoire est en train de s’écrire. À nous de décider si elle nous jugera comme des bâtisseurs de paix, ou des architectes de l’oppression.
Le Paysan de Zoula
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