Sahel : le martyre silencieux des Peuls, ou la dérive meurtrière d’un État en guerre
Dans les confins poussiéreux d’un pays sahélien en proie aux convulsions de l’instabilité, le sang des innocents irrigue une terre déjà meurtrie par l’oubli. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, des crimes de masse se répètent, méthodiques et impunis. Les victimes ont un nom, une culture, une appartenance : ce sont les Peuls.
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Le martyre silencieux des Peuls |
Il ne reste souvent, après leur passage, qu’un silence de mort. Des villages réduits en cendres, des puits empoisonnés, des greniers incendiés, des cadavres abandonnés aux charognards, dans l’indifférence générale. Depuis plusieurs mois, dans ce pays du Sahel dont nous tairons le nom pour la sécurité de nos sources, l’armée régulière et ses supplétifs — des milices locales autoproclamées "volontaires" — mènent une guerre sans merci contre une communauté injustement stigmatisée : les Peuls.
Le récit dominant, soigneusement entretenu par les autorités militaires au pouvoir depuis un coup d’État récent, est celui d’une croisade sécuritaire contre les groupes jihadistes qui ravagent les campagnes. Mais dans l’ombre de ce discours officiel, une autre vérité se dessine, plus sombre, plus brutale, plus dérangeante : celle d’un nettoyage ethnique rampant, aux accents de vengeance, alimenté par une défiance historique et des calculs politiques cyniques.
Une guerre dévoyée
Depuis l’effondrement de l’État dans certaines zones rurales, la réponse sécuritaire s’est militarisée, au détriment de l’approche civilo-politique initialement préconisée par les partenaires internationaux. La junte au pouvoir, en mal de légitimité populaire et internationale, s’appuie désormais sur des milices communautaires pour combler les défaillances logistiques de l’armée. Ces groupes, mal encadrés et souvent mus par des motivations revanchardes, s’en prennent systématiquement aux populations peules, accusées en bloc de connivence avec les jihadistes.
À chaque attaque terroriste — qui ne faiblissent pourtant pas — correspond presque systématiquement une opération dite de "ratissage", menée sans discernement. Dans le village de Koumbara, dans le nord du pays, une soixantaine de civils peuls ont été exécutés en une nuit. À Gassi, ce sont des femmes et des enfants brûlés vifs dans leurs cases. Le motif ? Des soupçons. De simples soupçons. La justice n’a plus de voix ; elle a été noyée dans le vacarme des armes.
L’omerta organisée
Dans ce contexte, la liberté de la presse a été méthodiquement étouffée. Les correspondants étrangers ont été expulsés. Les journalistes locaux, lorsqu’ils osent couvrir les abus de l’armée, sont menacés, emprisonnés, parfois même portés disparus. Quant aux rares organisations de défense des droits humains encore tolérées, elles sont réduites au silence ou désignées comme "agents de l’ennemi".
Il est devenu presque impossible d’enquêter librement. Les témoignages que nous avons recueillis proviennent de survivants réfugiés dans des pays voisins, de membres de la société civile en exil, et de rapports confidentiels internes aux agences humanitaires. Tous décrivent une stratégie de terreur planifiée, visant à faire fuir les populations peules de zones stratégiques.
Le mobile réel ne serait donc pas uniquement sécuritaire. Il serait aussi territorial. Certains hauts responsables militaires voient dans l’exode des Peuls une opportunité de redistribution foncière au profit de communautés alliées au régime. Une sorte de purification ethnique aux relents économiques, où la terre devient un butin de guerre.
Les racines de la haine
La haine anti-peule n’est pas née hier. Elle plonge ses racines dans une méfiance séculaire entre populations sédentaires et nomades, exacerbée par la raréfaction des ressources et les conflits d’usage du sol. Mais depuis l’émergence des groupes jihadistes dans la région, ce ressentiment ancien a muté en machine de mort.
Certes, des éléments peuls ont été enrôlés par des katibas affiliées à Al-Qaïda ou à l’État islamique. Mais réduire toute une communauté à ses extrêmes, c’est appliquer une justice tribale, une logique de vengeance aveugle qui ne fait qu’alimenter le cycle infernal de la violence.
Pour chaque massacre commis par les forces régulières ou leurs supplétifs, les groupes jihadistes recrutent plus facilement. Ils se posent alors en défenseurs des Peuls, exploitant leur détresse pour renforcer leur emprise. Ainsi se referme le piège d’une guerre asymétrique dans laquelle l’État perd à chaque étape un peu plus de son âme.
Le silence complice de la communauté internationale
Face à ces dérives, la réaction internationale oscille entre silence diplomatique et indignation molle. Les chancelleries, préoccupées par la lutte antiterroriste, ferment souvent les yeux sur les abus commis par leurs "partenaires" militaires. Certains États, pourtant signataires de conventions internationales sur les droits humains, continuent de fournir un appui logistique et stratégique à la junte, sans exiger de contreparties en matière de droits fondamentaux.
Les organismes multilatéraux, eux, sont prisonniers d’un double discours : ils condamnent mollement les exactions, tout en continuant à financer des programmes humanitaires censés réparer les conséquences des politiques qu’ils cautionnent. Cette hypocrisie contribue à banaliser l’inacceptable.
Vers quel avenir ?
La situation actuelle n’est pas seulement une tragédie humaine ; elle est aussi un symptôme de l’effondrement moral de l’État sahélien. L’armée, censée incarner l’unité et la protection des citoyens, est désormais perçue comme une force d’occupation dans certaines régions. La défiance atteint des sommets. Des pans entiers de la population se sentent abandonnés, voire persécutés par leurs propres institutions.
Sortir de cette spirale impose un sursaut, un réveil des consciences. Il ne saurait y avoir de paix durable sans justice. Il ne saurait y avoir de lutte efficace contre le terrorisme sans une restauration du lien de confiance entre l’État et ses citoyens. Il ne saurait y avoir d’avenir pour ce pays si ses dirigeants persistent à confondre ordre militaire et légitimité politique.
Aujourd’hui, dans les recoins oubliés du Sahel, ce n’est pas seulement la communauté peule qui est en danger. C’est l’idée même de nation, fondée sur le droit, l’égalité et la dignité humaine.
Le Paysan de Zoula
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