Mali : la République asphyxiée par une dictature militaire
Le Mali, dirigé depuis août 2020 par une junte militaire sous le colonel Assimi Goïta, connaît une dérive autoritaire sans précédent : après avoir suspendu les activités politiques en mai 2025, le régime a formellement dissous tous les partis par décret le 13 mai, annulant le pluralisme garanti par la Constitution de 2023 et verrouillant l’espace démocratique national. Cette mesure s’inscrit dans une stratégie de répression graduelle de la dissidence, marquée par l’enlèvement d’opposants, la censure des médias et la manipulation de la justice . L’« asphyxie » de l’ordre républicain est d’autant plus préoccupante que le droit et les institutions sont méthodiquement sapés, tandis que le climat de peur nuit à toute mobilisation citoyenne.

Le Mali
Contexte historique : de la transition à la guerre civile larvée

Depuis le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020, puis son propre coup contre le président de transition en mai 2021, Assimi Goïta concentre les leviers du pouvoir sans jamais organiser d’élections libres, en dépit de promesses répétées pour février 2022 puis 2024. La rédaction d’une nouvelle Constitution en juillet 2023 n’a pas empêché les retards chroniques, ni la remise en cause de toute perspective électorale crédible. Entre-temps, la junte a déjà recouru à des décrets pour museler l’opposition, posant les jalons d’une mise sous tutelle progressive de la République.
Le décret du 13 mai 2025 : disparition des partis politiques
Analyse juridique : anarchie constitutionnelle
La dissolution par décret viole les procédures constitutionnelles et légales. Aucune disposition du texte fondamental n’autorise un pouvoir exécutif à supprimer les partis sans débat législatif ni recours judiciaire préalable. De plus, la loi organique de 2005 sur les partis, censément abrogée par le Conseil national de transition (CNT) le 30 avril 2025, ne pouvait l’être que par voie parlementaire, or le CNT n’est pas un organe élu. Sur le plan international, cette mesure contrevient aux engagements du Mali envers la Charte africaine des droits de l’homme et les pactes onusiens garantissant la liberté d’association et d’expression.
Réactions et répression : peur, enlèvements et censure
La dissolution coïncide avec une montée en puissance de la répression : plusieurs dirigeants d’opposition, dont Abba Alhassane (CODEM) et El Bachir Thiam (Yéléma), ont été enlevés, vraisemblablement par des éléments des forces de sécurité, et restent portés disparus. Les médias, quant à eux, subissent une censure institutionnelle : la Haute Autorité de la Communication a suspendu TV5Monde pour « couverture partiale » des manifestations, tandis que les journaux critiques encaissent amendes et menaces de fermeture. Le journaliste Alfousseyni Togo est détenu pour « diffamation contre un ministre », illustrant la juridictionnalisation de la répression politique.
Impact sur la société civile et l’opinion publique
La peur et la manipulation de l’information ont un effet dissuasif sur la population : les appels à manifester se heurtent à la crainte de la violence d’État et à la surveillance étroite des réseaux sociaux. Pourtant, des coalitions de partis et d’associations, représentant plus de 80 formations, ont déjà lancé un ultimatum pour exiger la fin de la transition militaire d’ici fin 2025 et l’organisation rapide d’élections. Sans cadrage juridique ni espace public pour débattre, ces initiatives peinent à mobiliser au-delà de petits groupes urbains.
Perspectives et appel à l’action
Le verrouillage de l’espace politique place le Mali au bord du gouffre démocratique. À court terme, la junte pourrait officialiser un mandat prolongé pour Goïta, verrouillant définitivement le pouvoir exécutif. À moyen terme, l’absence de débouchés institutionnels de la contestation risque d’alimenter la violence ou de pousser la jeunesse vers la radicalisation face à l’« asphyxie » des canaux démocratiques.
L’heure est aux pressions ciblées : sanctions sélectives des dirigeants responsables, suspension des programmes de soutien budgétaire conditionnée au rétablissement des libertés, et soutien logistique aux organisations de la société civile. Il revient aussi aux Maliens eux-mêmes – partis, ONG, syndicats, journalistes – de documenter, témoigner et s’organiser pour préserver l’idée républicaine. L’« amnistie » de la dictature ne peut prendre racine : le silence ne vaut pas assentiment.
Le Mali, berceau de la démocratie africaine, doit retrouver la parole pour que cesse cette disette institutionnelle. Le droit n’est pas un luxe ; c’est le socle vivant de la cohésion nationale.
Le Paysan de Zoula
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