Kalachnikov contre forage : la tragédie burkinabè sous parrainage russe
La rhétorique officielle la martèle comme un refrain salvateur : le Burkina Faso s’est affranchi de l’impérialisme occidental pour se tourner vers de « nouveaux partenaires stratégiques », au premier rang desquels la Russie. Présenté comme un acte de souveraineté, ce pivot diplomatique est devenu le socle idéologique de la transition menée par le capitaine Ibrahim Traoré. Mais deux ans après ce basculement géopolitique, les Burkinabè s’interrogent, et certains dénoncent avec amertume un pacte faustien. Car si les fusils russes crépitent, les forages, eux, ne coulent pas. Et si la propagande promet la renaissance, les cercueils s’entassent, chaque matin, au rythme des kalachnikovs.
L’alliance russo-burkinabè : promesse de sécurité ou marché de dupes ?
C’est en grande pompe que la coopération entre Ouagadougou et Moscou a été relancée dès l’arrivée au pouvoir du capitaine Traoré. Le départ des troupes françaises, jugées inefficaces, fut suivi d’une ruée vers le partenaire russe, perçu comme un allié loyal, non ingérant et militairement aguerri. Une série d’accords sécuritaires, commerciaux et miniers ont été signés à un rythme effréné. La Russie, par le biais d’entreprises privées aux contours flous – parfois affiliées à l’ex-groupe Wagner ou à ses avatars –, s’est installée durablement dans les arcanes de l’État burkinabè, dans ses casernes, et surtout, dans ses mines.
Mais les résultats tangibles tardent à se faire sentir. Le pays reste saigné par l’hydre djihadiste, malgré une propagande de guerre omniprésente. Les tueries de civils se poursuivent, les embuscades contre les forces armées se multiplient, les zones entières demeurent hors contrôle. Et pendant que le sang burkinabè continue de couler, les images de convois russes, lourdement protégés, escortant des cargaisons d’or, de manganèse ou de zinc, circulent à bas bruit dans les cercles informés.
À la question, simple mais brutale, que pose aujourd’hui une frange lucide de l’opinion publique – qui a déjà bu l’eau d’un forage russe au Burkina ? – s’oppose une réalité dérangeante : la coopération est asymétrique, brutale, et cruellement déséquilibrée. La Russie exporte des armes. Elle reçoit des minerais. Le peuple, lui, importe des cercueils.
La kalachnikov comme seul don visible
Il est un paradoxe glaçant dans la relation russo-burkinabè : l’arme la plus visible de la coopération est aussi celle qui tue. Les kalachnikovs, omniprésentes dans les mains des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) et de certaines unités militaires, sont devenues le symbole macabre de l’alliance. Offertes, vendues, parfois échappées du contrôle, elles nourrissent aussi bien la guerre que les trafics. Leur efficacité, dans un théâtre d’opérations irrégulier, n’a d’égale que leur prolifération incontrôlée.
Le mythe d’un redressement sécuritaire porté par l’armement russe s’effondre chaque jour sous les coups des groupes armés. Inata, Djibo, Gaskindé, Seytenga, Karma, Zaongo… la liste des massacres s’allonge. La promesse de reconquête s’éloigne. Et pourtant, jamais les annonces n’ont été aussi triomphantes. La communication, dopée à la rhétorique anti-impérialiste, tente de masquer l’évidence : l’État perd du terrain, et l’armement russe ne sauve ni les villages, ni les âmes.
Une coopération minière opaque et prédatrice
Dans l’ombre des opérations militaires, c’est un autre théâtre d’intérêts qui se joue : celui des ressources naturelles. L’or, le manganèse, le zinc, le phosphate, le cuivre, autant de trésors géologiques qui attisent les convoitises et structurent les équilibres de pouvoir. Officiellement, la Russie est un « partenaire économique ». Officieusement, plusieurs sites miniers stratégiques sont désormais gérés, sécurisés et exploités par des entreprises russes, parfois liées à des structures paramilitaires opaques.
Les recettes fiscales issues de ces exploitations sont floues. Les retombées locales, quasi nulles. Les communautés riveraines, souvent expulsées ou marginalisées, ne voient ni écoles, ni dispensaires, ni infrastructures. Pire : dans certains cas, des villages entiers vivent dans la peur de milices armées, opérant pour « sécuriser les zones minières stratégiques ». Un nouveau néocolonialisme, musclé, silencieux, recouvert du vernis patriotique d’une souveraineté de façade.
Pendant que le sol du Burkina est vidé de ses entrailles, ses habitants manquent d’eau potable, d’électricité, de soins, de justice. Le contraste est insoutenable. Car dans la balance, les armes s’échangent contre les minerais. Mais jamais contre des hôpitaux. Jamais contre des puits. Jamais contre de la vie.
La propagande au sommet, le peuple au pied du mur
Le pouvoir de la transition a choisi son camp : celui du verbe contre le réel. Les discours de souveraineté, les invectives contre l’Occident, les envolées lyriques sur la dignité retrouvée ne suffisent plus à masquer la disette, l’insécurité, l’exil intérieur. Les citoyens, eux, comparent. Ils se demandent où va l’or, où part le manganèse, qui contrôle les puits de pétrole de Diapaga, qui sécurise les concessions de Gaoua.
Le silence sur les contrats miniers russo-burkinabè est assourdissant. Aucun audit public, aucun débat parlementaire, aucune consultation citoyenne. En lieu et place, une communication obsessionnelle sur les exploits militaires, les avancées tactiques supposées, et des émissions spéciales sur la RTB où les questions interdites ne franchissent jamais le plateau.
Cette stratégie de dissimulation nourrit une frustration croissante. Car la guerre n’est pas qu’une question de munitions. C’est une affaire de justice, de transparence, d’équité. Une armée ne peut pas gagner si elle est entourée d’un peuple affamé. Et une kalachnikov ne vaut pas un forage.
La fin des illusions ?
Ce qui se joue au Burkina Faso dépasse le théâtre national. C’est l’illustration tragique d’un basculement stratégique précipité, sans garde-fou, sans régulation, sans contre-pouvoirs. La Russie, au même titre que d’anciens partenaires occidentaux, ne vient pas par altruisme. Elle vient pour ses intérêts. Et elle agit avec une brutalité qui n’a rien à envier à celle des empires d’hier.
Que reste-t-il au peuple burkinabè, entre les mains d’un pouvoir militarisé, d’une économie minée, d’un espace civique verrouillé ? Il lui reste la parole. L’indignation. Le courage de nommer les choses. De poser des questions simples. Essentielles.
Qui a bu l’eau d’un forage russe ? Personne.
Qui enterre chaque jour ses enfants, tombés sous des kalachnikovs ?
Le peuple.
Qui profite de la coopération russo-burkinabè ? Une minorité silencieuse, embourbée dans l’opacité et l’accumulation.
Épilogue : pour une souveraineté authentique, et non capturée
Il est temps de redéfinir le sens de la souveraineté. Elle ne réside pas dans les alliances bruyantes ou les ruptures tapageuses. Elle ne se mesure pas au nombre de drapeaux russes brandis sur les places publiques. Elle se vit, se sent, se construit. Dans la qualité des soins. Dans l’accès à l’eau. Dans la justice. Dans la sécurité véritable, celle qui libère, et non celle qui opprime.
Le Burkina Faso mérite mieux qu’un champ de bataille géopolitique. Il mérite une paix durable, des politiques publiques transparentes, des partenaires exigeants mais respectueux. Il mérite des forages, pas des fusils.
Le Paysan de Zoula
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