Burkina Faso : quand le peuple déborde — la chute de Blaise Compaoré ou l’effondrement d’un barrage construit sur l’oubli
« À force de mépriser la mémoire des peuples, les régimes oublient que la poussière du silence finit toujours par faire tousser l’Histoire. »
Il avait régné vingt-sept ans. Blaise Compaoré, ce militaire au regard froid, compagnon de route de Thomas Sankara avant de devenir son fossoyeur, avait réussi à imposer un ordre apparent, une stabilité relative, une diplomatie active, un système verrouillé. Mais sous le vernis d’un pays stable, le ressentiment s’accumulait comme les eaux d’une digue fatiguée.
La promesse trahie de l’alternance
Lorsque, en 1987, Blaise Compaoré prend le pouvoir après l’assassinat de Sankara, l’émotion est grande, la douleur profonde, mais le peuple accepte, abasourdi, de faire « avec ». Les années passent, les discours se rodent, les élections deviennent un décor, les institutions une mécanique huilée.
Mais une promesse fondamentale, celle de l’alternance démocratique, demeure sans cesse reportée.
Au fil du temps, la Constitution devient une matière malléable, soumise à la volonté d’un homme. La réécriture répétée du texte fondamental finit par transformer la loi en simple outil de maintien au pouvoir. Le peuple observe, puis s’irrite. Car le vernis craque à mesure que les injustices s’installent : accaparement des terres, clientélisme, impunité des proches du régime, enrichissements illicites, arrestations d’opposants, népotisme…
Le projet de trop : modifier encore la Constitution
En 2014, la coupe est pleine. Blaise Compaoré veut modifier une nouvelle fois l’article 37 de la Constitution pour pouvoir se présenter à un cinquième mandat. Ce projet est perçu comme une insulte finale, un mépris absolu de la maturité politique d’un peuple qui a désormais des syndicats puissants, des journalistes indépendants, des artistes engagés, une jeunesse connectée et éveillée.
Les jours passent, et la tension monte. Les voix de la contestation se lèvent : Balai Citoyen, MPP, syndicats, religieux, anciens compagnons de lutte. La société civile s’embrase.
30 octobre 2014 : la digue cède
Ce jour-là, l’Assemblée nationale s’apprête à adopter la réforme constitutionnelle qui permettrait à Compaoré de se représenter. Mais le peuple ne l’entend pas ainsi.
Des milliers, puis des dizaines de milliers de Burkinabè convergent vers Ouagadougou. Ils envahissent les rues, les places, les institutions. L’Assemblée nationale est prise d’assaut. Les bâtiments publics brûlent. Les députés fuient. Le palais présidentiel tremble.
Face à l’intensité de la révolte, l’armée refuse de tirer. Les chefs militaires sont dépassés. Compaoré comprend trop tard que le barrage a cédé. Il s’enfuit. Par la route. En hélicoptère. Par la frontière ivoirienne. Escorté, déchu, humilié.
La voix du peuple : claire, rugueuse, irrépressible
Cette journée du 30 octobre 2014 marque un tournant dans l’histoire du Burkina Faso, et plus largement dans celle de l’Afrique contemporaine. Car c’est le triomphe d’une souveraineté populaire spontanée, non manipulée, non encadrée par une élite politicienne. Le peuple est sorti dans la rue non pour remplacer un pouvoir par un autre, mais pour rappeler une vérité universelle : la République appartient à ceux qui la vivent, pas à ceux qui la conservent comme une rente.
L’après-Compaoré : d'autres digues, d'autres crues
L’histoire ne s’arrête pas à cette victoire. Le pays connaîtra une transition fragile, une tentative de putsch en 2015, des élections ouvertes mais complexes, puis l’irruption du terrorisme djihadiste, qui change brutalement les priorités nationales.
En 2022, puis en 2023, de nouveaux coups d’État ont été justifiés au nom d’un salut national. Le Capitaine Ibrahim Traoré incarne aujourd’hui une autre tentative de rupture, radicale, jeune, patriotique, audacieuse. Mais les mêmes questions restent pendantes : comment gouverner sans trahir ? Comment protéger sans opprimer ? Comment canaliser les colères sans les ignorer ?
Conclusion : Leçons de crues
Le Burkina Faso, en 2014, a montré que le peuple est une rivière que l’on ne détourne pas éternellement. Qu’aucun barrage d’armée, de propagande ou de peur ne peut contenir l’écume de l’injustice. Qu’en Afrique, les peuples ne sont ni naïfs, ni passifs, ni muets.
Ils attendent. Ils observent. Puis, ils débordent.
Ce jour-là, la foule criait : « Plus jamais ça ! »
Reste à espérer que les nouveaux détenteurs du pouvoir ne construiront pas à leur tour une autre digue d’arrogance et d’oubli. Car l’histoire, au Burkina, a déjà prouvé que les rivières y ont une mémoire.
Par Le Paysan de Zoula
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