Au Mali, la tentation autoritaire d’un pouvoir militaire en perte de légitimité : entre confiscation du politique et rejet populaire

Bamako, 14 mai 2025 - « Ils ne respectent pas la loi et ne la connaissent pas. Ils font ce qu’ils veulent et se considèrent comme la loi. Peut-on demander à celui qui a orchestré un coup d’État de respecter la loi ? NON ! » Cette déclaration, rugissante et sans équivoque, émane d’un acteur malien engagé, au lendemain de l’annonce tonitruante par les autorités de transition de la dissolution de l’ensemble des partis politiques et de l’interdiction de toute activité politique sur le territoire national. Une décision gravissime qui, aux yeux d’une large frange de la société malienne, consacre la dérive dictatoriale d’un pouvoir militaire désormais retranché dans un autoritarisme sans vergogne.

Assimi Goïta

Alors que le Colonel Assimi Goïta, chef de la junte militaire, multiplie les actes de rupture avec l’ordre constitutionnel, la société civile, les juristes, les activistes et une grande partie du peuple malien refusent de se taire. Dans les quartiers populaires de Bamako, dans les cercles intellectuels, dans les cercles d’expatriés maliens à Paris, Dakar ou Ouagadougou, un cri monte : "À bas la dictature !"

Une trajectoire de plus en plus autoritaire

L’histoire récente du Mali est marquée par une instabilité institutionnelle chronique. Le coup d’État du 18 août 2020, mené contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, avait été accueilli dans une certaine euphorie populaire, portée par la lassitude face à un régime corrompu et inopérant. Mais très vite, la promesse d’une transition démocratique apaisée et brève a laissé place à une mainmise progressive de l’armée sur toutes les institutions.

Le second coup de force, survenu le 24 mai 2021, a achevé d’installer le Colonel Goïta comme président de transition, concentrant entre ses mains l’ensemble des leviers du pouvoir, en écartant civils, opposants et voix critiques. Malgré les engagements pris devant la CEDEAO et la communauté internationale, les échéances électorales ont été systématiquement repoussées, avec pour prétexte une "refondation nécessaire" du pays.

Un décret de trop

La décision du 13 mai 2025, portant dissolution des partis politiques et interdiction de toute activité politique, apparaît pour beaucoup comme le point de non-retour. Jamais, depuis les années les plus sombres de la dictature de Moussa Traoré, le Mali n’avait connu une telle régression des libertés fondamentales. En un seul texte, le régime militaire a suspendu la liberté d’association, la liberté d’expression, le pluralisme politique et l’exercice démocratique.

Pourtant, les textes fondamentaux du Mali — la Constitution de 1992, puis celle de 2023 — protègent explicitement ces droits. En agissant ainsi, le pouvoir militaire foule aux pieds la légalité républicaine qu’il prétend incarner. Comme le souligne un constitutionnaliste malien :

« Dissoudre les partis politiques par décret, sans débat contradictoire, sans recours judiciaire préalable, revient à assassiner la démocratie dans son berceau. »

"Assimi, dégage !", un mot d’ordre qui gagne du terrain

Ce mot d’ordre jadis murmuré à huis clos se fait désormais entendre avec plus de force. Dans les réseaux sociaux, sur les murs de certaines universités, dans les cercles des organisations de la diaspora malienne, le rejet du pouvoir d’Assimi Goïta devient un leitmotiv.

Les Maliens ne s’y trompent pas. Ils savent que le vernis souverainiste et patriotique brandi par la junte masque une réalité de plus en plus sombre : confiscation du pouvoir, répression de la critique, instrumentalisation de la justice, fermeture de l’espace civique et alliance opaque avec des puissances étrangères peu soucieuses de démocratie.

La tentative de faire taire toute opposition ne fait que radicaliser la contestation, comme en témoignent de nombreuses prises de position courageuses :

« Vive la démocratie ! Vive la liberté ! Vive le peuple malien ! Vive le Mali ! À bas l’injustice ! À bas la dictature ! À bas l'autoritarisme ! »

Ce cri du cœur, devenu cri de ralliement, est aujourd’hui repris par ceux qui, dans les villes comme dans les campagnes, refusent de voir leur pays sombrer dans la nuit de la tyrannie.

Le Mali : patrimoine du peuple, non d’un quarteron de colonels

La démocratie malienne, bien que jeune, avait acquis une maturité certaine. Le multipartisme, les débats parlementaires, les élections libres, la liberté de la presse et l’implication citoyenne faisaient du Mali un exemple, certes imparfait, mais dynamique, de démocratie en Afrique de l’Ouest.

Aujourd’hui, l’armée s’arroge le droit de dissoudre les partis, comme s’il s’agissait d’ONG étrangères subversives, niant la fonction institutionnelle qu’ils exercent dans la structuration de l’opinion publique.

En se considérant comme seule détentrice de la souveraineté populaire, la junte oublie que la souveraineté appartient au peuple, et non à ceux qui le gouvernent par la force.

La communauté internationale observe, mais agit peu

Si la CEDEAO et l’Union africaine ont exprimé leur "préoccupation", les sanctions sont restées symboliques. L’embargo de 2022 a laissé un goût amer à une population déjà meurtrie par les effets économiques et sociaux de la guerre et de la corruption. Les Maliens réclament désormais un soutien plus intelligent, plus moral que technique.

Le combat qui se joue à Bamako ne concerne pas seulement le Mali. Il concerne toute l’Afrique de l’Ouest. Peut-on accepter que la voie du développement et de la stabilité passe par la répression et la négation des libertés fondamentales ?

La résistance s’organise

Face à la fermeture des canaux politiques officiels, une nouvelle forme d’opposition sociale, citoyenne et intellectuelle prend forme. Elle se passe des structures classiques et adopte des modes d’action souples, numériques, parfois culturels. Elle se fonde sur des valeurs inaliénables : justice, vérité, dignité.

Et surtout, elle n’a plus peur.

Ceux qui aujourd’hui élèvent la voix contre la dictature naissante savent qu’ils prennent des risques. Mais ils savent aussi qu’ils portent la mémoire de Sankara, de Modibo Keïta, de Soumana Sako, et de tous ceux qui ont cru qu’un Mali debout valait mieux qu’un Mali soumis.

Une sortie possible : le sursaut républicain

Il n’est pas trop tard. Un retour à la raison est encore possible, si et seulement si les autorités militaires comprennent qu’il n’y a pas de refondation nationale sans légitimité populaire, pas de stabilité sans confiance, pas d’avenir sans pluralisme.

La voie d’une transition réelle, concertée, inclusive, avec un calendrier crédible et garanti par des institutions nationales et régionales, est la seule issue viable.

Mais ce retour au dialogue ne pourra se faire que si la peur change de camp. Et pour cela, il faut que les voix du peuple continuent de s’élever, sans haine, sans violence, mais avec détermination.

"Ils peuvent emprisonner les partis, mais ils ne pourront jamais emprisonner la volonté d’un peuple."

Le peuple malien n’a pas dit son dernier mot.

Le Paysan de Zoula

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